Affichage des articles dont le libellé est ingénierie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est ingénierie. Afficher tous les articles

jeudi 17 novembre 2011

Comité invisible : "Ingénierie sociale et mondialisation"

Comité invisible : "Ingénierie sociale et mondialisation"





Bon, vraiment, je suis désolé, mais franchement, au risque de paraître parano, il y a vraiment des textes qu’il faut prendre la peine de lire en ce moment, pour tenter de comprendre un peu mieux ce qui se passe.

Celui-ci en fait partie. Il circule sur le web depuis 2007 et tout ce qu’il explique est d’une actualité criante ! J’avais déjà évoqué ce curieux « Comité invisible » dans un précédent article.
Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, depuis 2008, les grands fauves de la révolution néolibérale se lâchent ! Le Hallali retenti dans la jungle des marchés, car bientôt les peuples vont tomber à genoux sous l’effet des coups redoublés de la meute affamée. Le grand dépeçage va bientôt pouvoir commencer. Services sociaux, services publiques, tremblez ! Ecoles et hôpitaux, soyez rentables ou disparaissez ! (Houlà ! je suis en forme là !)

Vous osez vous dire innocents ? « Si ce n’est toi c’est donc ton frère » vous répond le loup ! Et celui-ci de rire à gorge déployée de vous voir prêts à payer les milliards qu’il a perdus en s’enrichissant sur les marchés à vos dépends ! (Mais où vais-je chercher tout ça !)

Rira bien qui rira le dernier ? Alors lisez ce texte, téléchargez-le, faites-vous une opinion.

Le ministre de la réforme de l'état aurait tenu en 2006 ces étonnants propos : « Le problème que nous avons en France, c’est que les gens sont contents des services publics. L’hôpital fonctionne bien, l’école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d’une crise majeure ». (Source : http://filinfo.joueb.com/news/reforme-de-l-etat-renaud-dutreil-se-lache)

Sommes-nous entrain de rêver, ou bien ce qui nous arrive actuellement est-il planifié, concerté ? Vous pouvez également relire mon ancien article sur Chomsky et son terrible essai « Comprendre le pouvoir » qui raconte comment dans les années 90, les banques américaines avouaient presque candidement, comment elles agissaient pour imposer leurs politiques aux gouvernements. Plus récent, vous pouvez également écouter ce podcast de Susan George sur France Culture : 21-11-2011


Je ne pense pas être un quelconque "neuneu" obsédé par d'obscures théories du complot. Je suis un modeste ingénieur, un honnête père de famille quinquagénaire. Et très sincèrement je trouve presque inquiétant que quelqu'un comme moi en arrive à avoir de tels sujets de réflexions. Mais comme beaucoup, je m'inquiète pour l'avenir, pas le mien, mais celui de mes enfants. Nous vivons une période de transitions : transition énergétique, transition économique, transition sociétale. Nous devons être attentifs si l'on veut que cette transition soit l'opportunité d'une prise de conscience qui puisse nous aider à prendre des décisions positives. Un choix se présente à nous, soit la Grande Régression et l'abandon dans le nihilisme, soit une nouvelle renaissance...

Et n'oublions pas, nous sommes la majorité, les 99% comme on dit actuellement de l'autre côté de l'atlantique ! Nous ne sommes pas obligés de nous laisser tondre comme des moutons apeurés !


Bon après tout ça, si je ne suis pas fiché aux RG, c’est à ne rien y comprendre ! 
Voici à présent un extrait de ce brûlot rédigé par de terribles conspirateurs.  (;=))

La stratégie du choc (Page 6)

L’ingénierie sociale comme travail de reconfiguration d’un donné humain procède toujours en infligeant des chocs méthodiques. En effet, reconfigurer un système pour le rendre plus sûr et prédictible exige au préalable d’effacer son mode de configuration actuel. La réinitialisation d’un groupe humain requiert donc de provoquer son amnésie par un traumatisme fondateur, ouvrant une fenêtre d’action sur la mémoire du groupe et permettant à un intervenant extérieur de travailler dessus pour  la reformater, la réécrire, la recomposer.

L’expression de « stratégie du choc » pour désigner cette méthode de  hacking social a été popularisée par Naomi Klein. Dans  La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, l’auteure met en évidence l’homologie des modes opératoires du capitalisme libéral et de la torture scientifique telle que théorisée dans les manuels de la CIA (à grands renforts de références psychiatriques sur les thérapies par  le trauma), à savoir la production intentionnelle de chocs régressifs, sous la forme de crises économiques planifiées et-ou de traumatismes émotionnels méthodiques, afin d’anéantir les structures données jusqu’à une table rase permettant d’en implanter de nouvelles.     
                                        
La crise économique actuelle n’échappe évidemment pas à ces grandes manœuvres de refondation par la destruction, qui visent le plus  souvent à centraliser davantage un système pour en simplifier le pilotage. L’économiste F. William Engdahl décrit ainsi sur son blog les tenants et aboutissants d’un phénomène programmé : «Utiliser la panique pour centraliser le pouvoir. Comme je l’expose dans mon prochain livre, Power of Money: The Rise and Decline of the American Century, (Le pouvoir de l’argent : essor et déclin du siècle étasunien), dans toutes les grandes paniques financières aux États-Unis depuis au moins celle de 1835, les titans de Wall Street, surtout la Maison JP Morgan avant 1929, ont délibérément déclenché la panique bancaire en coulisses pour consolider leur emprise sur le système bancaire étasunien.

Les banques privées ont utilisé cette panique pour  contrôler la politique de Washington, notamment la définition exacte de la propriété privée de la nouvelle Réserve fédérale en 1913, et pour consolider leur contrôle sur les groupes industriels comme US Steel, Caterpillar, Westinghouse, etc. En bref, ce sont des habitués de ce genre de guerre financière, qui augmente leur pouvoir. Ils doivent maintenant faire quelque chose de semblable à l’échelle mondiale afin de pouvoir continuer à dominer la finance mondiale, le cœur de la puissance du siècle étasunien. »

On connaît l’histoire du développeur informatique qui diffusait lui-même des virus pour, ensuite, vendre les anti-virus aux propriétaires d’ordinateurs infectés. Dans le champ économique, on parlera aussi de dérégulation ou de  libéralisation pour évoquer par euphémisme ces déstructurations intentionnelles. Naomi Klein en donne de multiples exemples, appuyés par des réflexions théoriques de Milton Friedman, qui toutes convergent dans le dessein de détruire les économies locales, nationales ou d’échelle encore inférieure, en les dérégulant et libéralisant, pour les re-réguler en les plaçant sous tutelle d’entreprises multinationales privées ou d’organisations transnationales telles que le Fonds Monétaire International (FMI). Il s’agit à chaque fois de faire perdre à une entité sa souveraineté, son self-control, pour la mettre sous un contrôle extérieur. L’obstacle majeur de ce processus est le niveau de santé de l’entité, synonyme en politique de son niveau d’autonomie et de souveraineté, qui résiste naturellement à cette tentative de reconfiguration par une prise de contrôle extérieur, cette « OPA hostile », ressentie comme une aliénation et une transgression de son intégrité. La violence des chocs infligés sera à la mesure du niveau de santé et de souveraineté de l’entité, son niveau de résistance.

En outre, dans un cadre d’ingénierie sociale, il n’est pas nécessaire que les chocs infligés soient toujours réels ; ils peuvent se dramatiser uniquement dans le champ des perceptions. Les chocs méthodiques peuvent donc relever du canular et de l’illusion purs, ou encore entremêler réel et illusion, comme le note Alain Minc dans Dix jours qui ébranleront le monde : « Seul un évènement traumatique nous réveillera, tant l’effet du 11 septembre 2001 s’est évanoui. Ce peut être une fausse alerte à Londres, l’apparition d’un cybervirus susceptible de bloquer les réseaux informatiques mondiaux, ou pire le geste d’un psychopathe s’estimant lui-même à l’aune du nombre de ses victimes. Les démocraties n’anticipent jamais mais elles réagissent. L’opinion interdit en effet les mesures préventives qui bousculeraient la vie quotidienne mais elle accepte les décisions qui suivent un événement traumatique. Rien ne serait mieux, pour nous mettre en alerte, qu’un gigantesque canular, dès lors qu’il aura suscité une panique : un faux chantage nucléaire serait donc de bonne pédagogie. »

La conduite du changement

La résistance au changement, tel est le problème principal à surmonter en ingénierie sociale. La question qui se pose toujours au praticien est « Comment provoquer le moins de résistance à mon travail de reconfiguration, comment faire en sorte que les chocs infligés ne provoquent pas une réaction de rejet ? ». Donc comment faire accepter le changement, et si possible comment le faire désirer, comment faire adhérer aux chocs et au reformatage qui s’en suit ? Comment faire aimer l’instabilité, le mouvement, la précarité, le « bougisme » ? Bref, comment inoculer le syndrome de Stockholm à des populations entières ? Un prélude consiste à préparer les esprits en faisant la promotion dans l’espace public de mots-clés tels que « nomadisme », « dématérialisation », « déterritorialisation », « mobilité », « flexibilité », « rupture », « réformes », etc. Mais ce n’est nullement suffisant. Dans tous les cas, l’attaque directe, dont la visibilité provoque un cabrage réactif contre-productif, doit être abandonnée au profit d’une tactique indirecte, dite de contournement dans le vocabulaire militaire (SunTzu, Clausewitz). 

En termes de management et de sociologie des organisations, cette stratégie du choc indirect est appelée « conduite du changement », ou changement dirigé. Le numéro 645 de l’hebdomadaire  Charlie Hebdo nous rapporte ces propos de Renaud Dutreil, à l’époque ministre de la Fonction publique, tenus le 20 octobre 2004 dans le cadre d’un déjeuner-débat de la Fondation Concorde sur le thème « Comment insuffler le changement ? » : « Comme tous les hommes politiques de droite, j’étais impressionné par l’adversaire. Mais je pense que nous surestimions considérablement cette force de résistance. Ce qui compte en France, c’est la psychologie, débloquer tous ces verrous psychologiques… (…) Le problème que nous avons en France, c’est que les gens sont contents des services publics. L’hôpital fonctionne bien, l’école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d’une crise majeure, c’est ce que fait très bien Michel Camdessus, mais sans paniquer les gens, car  à ce moment-là, ils se recroquevillent comme des tortues… »

La méthode illustrée par ces propos résume à elle seule l’esprit de l’ingénierie sociale : faire changer un groupe alors qu’il n’en éprouve pas le besoin puisque, globalement, ça marche pour lui ; et la méthode proprement dite : la dysfonction intentionnelle de ce qui marche bien mais que l’on  ne contrôle pas pour le remplacer par quelque chose que l’on contrôle ; en l’occurrence,  la destruction de services publics qui marchent bien mais qui échappent à la spéculation et au marché pour les remplacer par des services privatisés et sur fonds spéculatifs. 

Pour ne parler que de la France, ce pays est, depuis la prise de pouvoir du gouvernement Sarkozy, l’objet d’une destruction totale, méthodique et méticuleuse, tant de ses structures sociales que politiques et culturelles, destruction accompagnée d’un gros travail de fabrique du consentement de sa population à une  dégradation sans précédent de ses conditions de vie afin de les aligner sur celles de la mondialisation libérale. Par le passé, une destruction d’une telle ampleur, à l’échelle d’une  nation, nécessitait un coup d’état ou une invasion militaire. Ses responsables étaient accusés des crimes de Haute trahison et d’Intelligence avec l’ennemi. (Ce que l’exécutif semble effectivement craindre, une révision de février 2007 du statut pénal du chef de l’État ayant abandonné l’expression de Haute trahison pour celle de « manquements à ses devoirs  manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat ».) De nos jours, une conduite du changement bien menée réalise la même chose qu’un putsch ou qu’une guerre mais sans  coup férir, par petites touches progressives et graduelles, en segmentant et individualisant la population impactée, de sorte que la perception d’ensemble du projet soit brouillée et que la réaction soit rendue plus difficile. Ainsi, Denis Kessler, ancien vice-président du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF), écrivait dans le magazine Challenges en octobre 2007 : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer,  et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes  spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

D’autres appellations peuvent encore qualifier cette méthode : stratégie de tension, pompier pyromane, ordre à partir du chaos, destruction créatrice, ou encore la trilogie problème-réaction-solution. Kurt Lewin et Thomas Moriarty, deux fondateurs de la psychologie sociale, ont théorisé cette méthode en  trois temps dans l’articulation entre ce qu’ils ont appelé « effet de gel » et « fluidification ». L’effet de gel qualifie la tendance spontanée de l’être humain à ne pas changer ses habitudes et ses structures internes de fonctionnement, à entretenir son « habitus » dirait Bourdieu, tendance qui se trouve au fondement de toute culture et de toute tradition comme ensemble d’habitudes ordonnées propres à un groupe et transmises à l’identique entre générations. La fluidification désigne l’action extérieure au groupe consistant à jeter le trouble dans sa culture et ses traditions, créer des tensions dans le but de déstructurer ses habitudes de fonctionnement et de disloquer ce groupe à plus ou moins brève échéance. Affaibli et  vulnérable, ses défenses immunitaires entamées et son niveau de souveraineté abaissé, le  groupe peut alors être reconstruit sur la base de nouvelles normes importées, qui implantent un type de régulation exogène permettant d’en prendre le contrôle de l’extérieur.


La célèbre phrase de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l’Union Européenne, « Les hommes n’acceptent le changement que dans la  nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » pourrait servir de maxime à tous les ingénieurs sociaux. Une conduite du changement bien menée consiste ainsi en trois étapes : fluidifier les structures « gelées » du groupe par l’injection de facteurs de troubles et d’éléments perturbateurs aboutissant à une crise — c’est l’étape 1 de la création du problème, la destruction intentionnelle ou « démolition contrôlée » ; cette déstabilisation provoque inévitablement une réaction de désarroi dans le groupe — c’est l’étape 2, dont la difficulté consiste à doser avec précaution les troubles provoqués, une panique totale risquant de faire échapper le système au contrôle de l’expérimentateur ; enfin, l’étape 3, on apporte une solution de re-stabilisation au groupe, solution hétéronome que le groupe accueillera avec enthousiasme pour calmer son angoisse, sans se rendre compte que, ce faisant, il s’est livré à une ingérence extérieure.


Stratégie du choc disent-ils ?
Rendons à César... je veux dire Naomie, ce qui lui appartient.
Je rédigerai un prochain article sur ce livre écrit par Naomie Klein, que bien sûr j'ai lu.
En attendant pourquoi ne pas regarder ce documentaire ?




P. S. : Le problème, c'est de se croire seul, seul à penser ce que l'on pense. Tout peut changer à partir du moment où l'on commence à se rendre compte qu'une multitude de gens pensent comme vous, peut-être un jour la majorité, qui sait ? Voilà pourquoi j'observe avec attention sur twitter et sur le Net l'évolution de ces mouvements comme les indignés, We are the 99%, Occupy Wall Street, London, etc...



2ème P.S. : Bon, c'est promis, je reviens à la littérature dans mes prochains articles (;=))

jeudi 30 décembre 2010

Anonymes : « Gouverner par le chaos, Ingénierie sociale et mondialisation »

Anonymes : « Gouverner par le chaos, Ingénierie sociale et mondialisation »

Je suis conscient du fait que ces derniers temps, je propose moins de textes littéraires ou philosophiques et de plus en plus de textes politiques, voire polémiques. Est-ce un signe des temps ? Probablement…

La situation politique se détériore de plus en plus en France, Depuis deux ans, tout semble s’accélérer dangereusement. Comme si des freins avaient lâchés, des freins moraux. La grogne monte dans la population et nos politiques ne semblent pas se rendre compte du fait que la situation pourrait bien leur échapper. 
Le petit livre de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! » s’est vendu à 400.000 exemplaires en quelques semaines (j’en ai acheté quatre, un pour moi, les autres pour offrir). Et on parle de cela dans les médias comme d’un simple phénomène éditorial, sans plus évoquer la signification forte d’un tel succès.

La situation se détériore, et parallèlement la parole se libère, tant sur le web et ses blogs, que dans de petites maisons d’éditions qui se mettent à publier de véritables petits brûlots. Pas dans la presse bien sûr, car comme le révèle un des fameux câbles de l’ambassade américaine révélé par wikileaks : "le secteur privé des médias en France – en presse écrite et audiovisuelle – continue d'être dominé par un petit nombre de conglomérats, et les médias français sont plus régulés et soumis aux pressions politiques et commerciales que leurs équivalents américains"
Le même câble explique : "Les grands journalistes sont souvent issus des mêmes écoles élitistes que de nombreux chefs de gouvernement. Ces journalistes considèrent que leur premier devoir n’est pas nécessairement de surveiller le pouvoir en place.  Nombre d’entre eux se considèrent plutôt comme des intellectuels préférant analyser les évènements et influencer les lecteurs plutôt que reporter des faits"
C'est un diplomate américain qui le dit !

Ce livre « Gouverner par le chaos » fait partie de ces livres qui contribuent à alimenter une juste colère. Pour qui connais un peu le sujet, on n’y trouve rien de nouveau, mais il a le mérite de regrouper de nombreux sujets concernant l’ingénierie sociale, dans petit volume et de se lire rapidement (plus rapidement qu’un gros livre de Chomsky par exemple). Il a été écrit lui aussi, par un petit groupe d’anonymes (Comme « L’insurrection qui vient », dont j’ai déjà parlé dans ce blog).

Autant que je me souvienne, il semblerait que le conseiller de Georges Bush, dont parle l’extrait ci-dessous, ait été le « fameux » Karl Rove (l’anecdote est assez connue). Tapez son nom sur Internet, vous ne serez pas déçus par ce que vous lirez sur le quidam !).

L’article de Ron Suskind se trouve ici : http://www.nytimes.com/2004/10/17/magazine/17BUSH.html
Ça vaut le coût de le lire, croyez-moi !


Voici l'extrait de "Gouverner par le chaos", faites-vous une idée...

Le reality-building, pages 64 à 67

Le journaliste politique Ron Suskind rapportait en 2004 la conversation qu’il avait eue un jour avec un conseiller de George W. Bush : « Pendant l’été 2002,  après que j’eus écrit au sujet de l’ancienne directrice de la communication de Bush, KAREN Hughes, j’ai eu une discussion avec un conseiller senior de Bush. Il m’exprima le déplaisir de la Maison-Blanche, puis il me dit quelque chose que je n’ai pas entièrement compris à ce moment là – mais qui, je le crois maintenant, concerne le cœur même de la présidence de Bush. Le conseiller me déclara que les types comme moi étaient « dans ce que nous appelons la communauté fondée sur le réel », qu’il définissait comme les personnes qui « croient que les solutions émergent de l’étude judicieuse de la réalité discernable ».  J’acquiesçais, et murmurai quelque chose sur les principes de la raison et de l’empirisme. Il me coupa net. « Ce n’est plus la façon dont fonctionne le monde désormais », continua-t-il. « Nous sommes désormais un empire, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudierez cette réalité – de manière judicieuse, sans aucun doute – nous agirons à nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pouvez étudier également, et c’est comme ça que les choses se régleront. Nous sommes les acteurs de l’Histoire… et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à tout simplement étudier ce que nous faisons. »

Le malaise provoqué par ces propos vient de ce que l’on assiste à la transgression décomplexée d’un tabou. Quelque chose de sacré se trouve piétiné sous nos yeux. Et en effet, le reality-building n’hésite pas à transgresser la Loi fondamentale de la condition humaine, la Loi ultime de nos vies, c'est-à-dire l’affrontement au réel, le fait qu’il subsiste toujours quelque chose « qui ne se contrôle pas ». Chacun, quelle que soit sa position dans la hiérarchie sociale, doit se soumettre à cet arbitre, à cette autorité fondamentale et fondatrice que, par définition, personne ne contrôle et qui reste donc totalement impartiale et incorruptible. Nous sommes tous égaux face au réel. Or, l’ingénierie sociale vise justement à échapper vise justement à échapper à cette commune condition humaine pour élaborer une forme de vie et de politique inégalitaire, où le sommet de la pyramide se détacherait complètement de la base, où le fantasme du dominant prendrait la place du réel pour devenir la Loi exclusive du dominé. Ce vieux rêve de mettre son propre désir à la place du réel, rêve de pouvoir réaliser tous nos fantasmes, d’abolir toutes les limites et tout ce qui résiste à notre désir, est lui-même un effet de notre condition d’humains, trop humains, pour qui la perception du réel est toujours découplée du réel lui-même. L’Homo sapiens n’est effectivement pas en contact direct avec le réel. Son rapport au réel est toujours médiatisé par une construction perceptive, une représentation, ce que l’on appelle la réalité. Comme la thématisé Alfred Korzybski dans sa sémantique générale, le rapport entre le réel et sa représentation est exactement sur le modèle du territoire et de sa carte. Certes nous vivons dans un territoire réel, mais il faut intérioriser une carte de ce territoire, donc une représentation du réel, pour y survivre. Or, l’arbitraire du signe mis en évidence par Ferdinand de Saussure, le fait que les signes n’aient aucun rapport naturel avec ce qu’ils désignent, oblige à ce que toute construction de sens soit conventionnelle, donc culturelle, historique, relative et négociable. L’humain vit donc dans un paradoxe, avec un pied dans une réalité plastique et constructible, représentation sémantique d’un réel, lui, incontrôlable, immaitrisable et asémantique où il pose l’autre pied.

A défaut de construire directement le réel, on peut donc chercher à s’en approcher de manière asymptomatique en construisant la réalité. Ensuite, le mécanisme très largemen partagé de la prophétie auto-réalisatrice fait le reste : à force d’agir et de penser en fonction d’une certaine image du réel, on en vient à façonner le réel lui-même selon cette image. Ce sont les divers moyens d’y parvenir que la théorie constructiviste a analysés, notamment dans l’ouvrage collectif L'invention de la réalité, de l’école dite de Palo Alto et dont Paul Watzlawick est le membre le plus connu. Du constructivisme ont été tirées de nombreuses applications stratégiques visant à éliminer toute forme de contestation. Ainsi, une technique appliquée dans le milieu de l’entreprise, le « message multiplié », consiste à orchestrer par des mémos internes la circulation d’une même information avec des petites variantes et par des canaux différents pour élaborer un paysage informationnel apparemment décentralisé et non concerté, une réalité ressemblant au réel, mais fondamentalement univoque et consensuelle, d’où le réel a été évacué. A la limite, qu’il y ait désaccord effectif dans le groupe, voire conflit déclaré, passe encore, mais il ne doit en aucun cas être perçu.
D’autres techniques de reality-building reposent sur l’inversion systématique du sens des mots et l’élaboration de syntagmes contradictoires dans les termes, paralysant la réflexion critique. Cette activité de construction linguistique d’une réalité non polémique, réalité purement positive, dont toute négativité a été évacuée, Georges Orwell l’avait, en son temps, baptisée la « novlangue ». Reprenant le témoin, Eric Hazan, dans LQR. La propagande du quotidien, met en évidence les altérations intentionnellement déréalisantes que le pouvoir gestionnaire contemporain fait subir au langage, qui n’ont d’égal que celles analysées par Victor Klemperer dans LTI, la langue du 3ème Reich. Dans le même esprit, Start Ewen rapporte ces conseils de marketing publicitaire ; « pour vendre la culture marchande, il fallait en proposer une vision épurée de toute cause de mécontentement social. […] Helen Woodward, qui faisait autorité en matière de rédaction publicitaire dans les années vingt, disait que pour écrire une annonce efficace le concepteur devait éviter religieusement l’univers de la production. « Quel que soit le produit que vous devez faire valoir » recommandait-elle, « n’allez jamais voir l’endroit où il est fabriqué… Ne regardez jamais travailler les gens… Parce que, voyez-vous, quand vous connaissez la vérité de n’importe quoi, la vérité réelle et profonde, il devient très difficile de composer la prose légère et superficielle qui va faire vendre cette chose là. (Ewen Stuart, op. cit. pages 87-88).

On le voit, le marketing repose souvent sur une bonne dose de double pensée, au sens d’Orwell, c'est-à-dire d’autosuggestion. La suggestion, et surtout l’autosuggestion, d’une réalité fictive qui enchante ce dont on fait la promotion ou qui dénigre exagérément un adversaire, font partie des techniques de propagande de bases communes aux régimes totalitaires et aux écoles de « force de vente ».




P.S. :
Vous pouvez télécharger un texte publié en 2004 par les mêmes "Ingénierie sociale et mondialisation". Sa lecture à la lumière des évènements que nous vivons en ce moment (Nov. 2011), est aussi passionnante qu'édifiante. Voici le lien : http://radicalisme-pop.hautetfort.com/media/00/00/857518271.pdf

Cet autre article du Monde parle du sinistre Karl Rove et évoque également cette "anecdote" : 
http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/09/05/le-retour-de-karl-rove-le-scenariste-par-christian-salmon_1091916_3232.html