mercredi 30 septembre 2009

Cicéron / Arendt : Définition de l’humaniste


Cicéron / Arendt : Qu'est-ce qu'un humaniste ?

Qui se pose encore cette question de nos jours, alors que les philistins détiennent le pouvoir et n'ont plus honte de leur ignorance ?

Hannah Arendt a donné une belle réponse, en commentant une citation de Cicéron : "Errare mehercule malo cum Platone... quam cum istis vera sentire" (Par Hercule, je préfère me tromper avec Platon qu'avoir raison avec d'autres)

(Traduction ci-dessous)


Voici le texte de Cicéron, extrait des Tusculanes (1.17) XVII.

L'AUDITEUR : Hé quoi, au moment que mon attente est la plus vive, vous m'abandonneriez ? Je sais combien vous estimez Platon, je le trouve admirable dans votre bouche, et j'aime mieux me tromper avec lui, que de raisonner juste avec d'autres.
CICÉRON : Je vous en loue : et moi de mon côté je veux bien aussi m'égarer avec un tel guide.

Et voici un extrait du commentaire que fait Hannah Arendt de cette citation dans son ouvrage ''La crise de la culture'' (Folio essais, chapitre VI)

    Ce que dit Cicéron en fait, c’est que pour le véritable humaniste ni les vérités du scientifique, ni la vérité du philosophe, ni la beauté de l’artiste, ne peuvent être absolues. L’humaniste, parce qu’il n’est pas un spécialiste, exerce une faculté de jugement et de goût qui est au-delà de la contrainte que chaque spécialité fait peser sur nous. Cette ‘humanitas’ (1) romaine s’appliquait à des hommes qui étaient libres à tous points de vue, pour qui la question de la liberté – ne pas subir la contrainte – était la question décisive, même en philosophie, même en science, même en art. Cicéron dit : en ce qui concerne mes liens avec les hommes et les choses, je refuse d’être contraint même par la vérité, même par la beauté.
Cet humanisme est le résultat de la ‘cultura animi’(2), d’une attitude qui sait prendre soin, préserver, et admirer les choses du monde. En tant que tel, il a pour tâche d’être l’arbitre et le médiateur entre les activités purement politiques et celles purement fabricatrices, opposées sur bien des plans. En tant qu’humanistes, nous pouvons nous élever au-dessus de ces conflits entre l’homme d’état et l’artiste, comme nous pouvons nous élever jusqu’à la liberté, par-dessus les spécialités que nous devons tous apprendre et pratiquer. Nous pouvons nous élever au-dessus de la spécialisation et du philistinisme (3) dans la mesure où nous apprendrons à exercer notre goût librement. Alors nous saurons répondre à ceux qui souvent nous disent que Platon ou quelque autre grand écrivain du passé est dépassé ; nous pourrons répondre que, même si toute la critique de Platon est justifiée, Platon peut pourtant être de meilleure compagnie que ses critiques. En toute occasion, nous devons nous souvenir de ce que, pour les Romains – le premier peuple à prendre la culture au sérieux comme nous -, une personne cultivée devait être : quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé.

Notes :
(1) Humanitas : Cicéron est le père de ce concept d’humanitas, il exprime une disposition, pensable abstraitement, manifestant les caractères de l’humain.

(2) Cultura animi : En son origine latine, la culture consiste à prendre soin de la nature d’où dérive agriculture. C’est depuis au moins Cicéron que le terme de culture désigne métaphoriquement le soin de l’âme, la cultura animi.

(3) Philistinisme : Caractère de philistin (personne grossière, insensible aux arts et aux lettres, aux productions nouvelles de la culture).

Vous pouvez retrouver le texte de Cicéron, ici : http://neptune.fltr.ucl.ac.be/corpora/Concordances/cicero_tusculanes/ligne05.php?numligne=18&mot=a

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