Disparu en 2007, Michel Adam était connu comme étant le dernier des moralistes. (Pas de panique, ce n'est pas ce que vous croyez !)
Son essai sur la bêtise, paru aux éditions de La Table Ronde est un petit bijou d'intelligence et d'humanité.
Impossible de résister au plaisir de vous faire découvrir ici quelques longs extraits, et je vous recommande de l'acheter et de le lire !
Il commence par cette citation de Gustave Flaubert :
"Voilà la vraie immoralité : l'ignorance et la bêtise ; le diable n'est pas autre chose. Il se nomme Légion."
Extrait du chapitre 1er ''Prolégomènes'' (Longue préface qui détaille les notions nécessaires à la compréhension du sujet qui se trouve traité dans le livre)
Extrait du chapitre II ''Les fonctions psychologiques''
La raison est nécessaire parce que les bonnes intentions de la pensée ne sont pas suffisantes. Le désir de la vérité ne débouche pas sur l’établissement d’une vérité ; il faut le contrôle permanent de l’esprit critique. La fonction de la raison est ainsi négative ; elle doit empêcher l’esprit de « déraisonner », c'est-à-dire de s’abandonner à la logique des passions, à la facilité d’une affectivité superficielle, à l’exotisme de l’imagination. La raison nous engage dans une surveillance continue de nous-mêmes. Elle vaut d’abord par ce qu’elle empêche. Le raisonnement correct s’obtient par le refus des possibilités fallacieuses, de même que la statue se fait par le rejet de la masse inutile. Se servir de sa raison est disposer d’un esprit attentif et critique. A l’inverse, déraisonner sera s’abandonner au rêve, à la frivolité, à la pseudo-logique, trouver satisfaction dans ses fantasmes, au lieu de s’appliquer à une pensée qui vaudra parce qu’elle a été constituée et non simplement acceptée. Ainsi on déraisonne parce que la pensée se déroule sans que l’effort critique s’y applique. La sottise, encore une fois, n’est que le déroulement d’une pensée, mais dans son rapport à la personnalité même.
Extrait du chapitre IV ''Ce que penser veut dire''
Le doute n’a ainsi de sens que pour l’homme qui est assez fort pour se mettre en état d’infériorité. Pour pouvoir s’interroger sur la valeur de ses connaissances, il faut accepter de les perdre comme telles. Au moment où l’esprit devient vivant, le contenu de cet esprit semble échapper et il faut chercher des connaissances que l’on ne possède pas encore. Le doute est ainsi l’expérience de l’absence, de l’incertitude. L’homme dubitant doit s’accepter comme être fini, abandonné à ses propres initiatives. Le doute exige une force d’âme qui est la présence virtuelle en moi de la liberté et qui prend l’aspect concret de l’aventure puisqu’on ne sait pas de quoi les lendemains de l’esprit seront faits. Il faut accepter de se situer par rapport à ce que l’on veut, au-delà de ce que l’on « savait ». Et il faut affronter comme possibilité le désespoir, si rien ne vient compenser ce que l’on fait tomber dans le doute. Même si le doute est conduit méthodiquement, ne débouchant sur rien, il ne peut qu’accroitre le trouble de l’esprit. L’homme du doute doit s’affirmer dans son individualité ; il est l’homme de la volonté et du devenir de la pensée. Il est celui qui refuse toutes les aliénations et les facilités. Est-il besoin de redire que le sot ne peut courir tous ces risques, et plus pour des raisons psychologiques que pour des raisons intellectuelles ?
Extrait de la conclusion ''La paille et la poutre''
L’imbécile est toujours l’autre ; cela veut dire que la bêtise est un spectacle, qu’elle est objectivable, qu’elle est un problème du monde et non un thème de réflexion personnelle pour une personne se demandant en quoi les valeurs humaines la concernent. Dans le monde de l’opinion, dont le principe est la pluralité des « idées », on évite de parler de bêtise ; cela pourrait faire réfléchir. M. de Montherlant raconte qu’on a fait sauter de l’un de ses articles la phrase de Schiller : « Les dieux eux-mêmes combattent vainement la bêtise ». Les lecteurs auraient pu se demander s’ils n’étaient pas visés. Ce qui était le plus à craindre était qu’ils prennent la formule comme une insulte et non comme un thème de réflexion personnelle, ce qui aurait été le commencement possible de la sagesse. On préfère endormir le lecteur avec des mots anodins qui évitent de penser. La bêtise n’apparaît pas comme une faute parce que l’esprit n’a pas bonne réputation mondaine ; la vie en société exige la compromission, le manque de personnalité, les paroles sans importance. Il ne faut pas que la bêtise soit une faute pour que la médiocrité sociale puisse satisfaire ceux qui en profitent, qui en vivent. Il vaut mieux admirer leur sens des affaires…
Extrait de l'appendice ''Bêtise et méchanceté''
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