jeudi 30 décembre 2010

Les Désobéissants : "Désobéir à la PUB"

Désobéir à la PUB, par les Désobéissants
Edition : le passager clandestin

Vous pouvez acheter ce brûlant petit livre ici :  http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/-Desobeir-.html
Un curieux petit livre d’une soixantaine de pages. La plus grande partie consiste en d’astucieux conseils pour saboter les pubs. Mais son début est plus intéressant pour son argumentaire implacable contre la publicité. Les antipubs ne sont pas les neuneus ratés ou marginaux pour les quels on souhaiterait nous les faire passer. Même si leur combat est voué à l’échec (ils défendent l’esprit critique et la liberté, vous rendez-vous compte ?!) leur discours est cohérent et bien argumenté. Faites-vous une idée en lisant ces deux extraits. Le premier évoque le caractère misogyne et sexiste de la pub (vous aviez remarqué tout de même), et le second aborde le coté psychologique puis surtout politique de la pub.
Ils ont hélas raison lorsque ils disent que la politique utilise les techniques de la publicité pour nous vendre non-plus des idées, mais des « marques politiques », aussi vides de sens que des paquets de lessives. 
Je pense par contre que ce n’est pas nouveau. La naissance de la publicité est en effet contemporaine de celle de la politique moderne, et les techniques de propagandes évoluent conjointement avec les progrès de certaines sciences dites « humaines ». Il suffit pour s’en convaincre de lire Propaganda, le fameux livre d’Edward Bernays publié en 1928…

Page 10 ,

Sur le plan des perceptions, et notamment de l’image de la femme, les ravages de la publicité sont patents. Une portion considérable des publicités recourent à un érotisme sexiste, avec la femme comme prostituée passive attendant de s’offrir au désir du mâle actif et dominateur, pour susciter le manque de l’objet du désir et proposer simultanément sa résolution dans le désir de l’objet. Et d’autres publicités, fort nombreuses également, prétendent vendre à la femme les moyens de la séduction, au service du mâle et dans une course éperdue, mais quotidienne, pour la jeunesse éternelle et le culte de l’apparence. La publicité « participe à la construction d’un érotisme patriarcal où le désir s’attache à un nombre limité de parties du corps des femmes, pas à des personnes, à des objets érotiques, pas à des relations… Les hommes apprennent à voir le corps féminin comme un objet qui s’achète et se consomme, à être attirés par des femmes apparemment disponibles, activement soumises. Les femmes sont portées à vouloir ressembler à ces créatures hautement désirées, et donc à « s’acheter » un corps féminin (en achetant les produits de l’industrie de la mode et de la beauté) qu’elles négocieront sur le marché de la séduction. A travers le publisexisme, on apprend aux hommes à être acheteurs et aux femmes à se vendre.

Page 11,

Sur le plan psychologique, l’agression est manifeste. Sollicitant le concours de sociologues, d’anthropologues, de psychologues, de spécialistes de la communication subliminale, du conditionnement, de la compression du message, d’analystes des inflexions de la voix, d’hypnotechniciens, de psycholinguistes, et même de neurobiologistes, elle se donne pour projet de « sonder, envahir et influencer le subconscient des citoyens-consommateurs, ni plus ni moins ». Elle s’immisce dans nos pensées pour y imprimer des obsessions d’objets, des réflexes animaux, des chansonnettes et des slogans publicitaires, l’illusion d’une identité de marque… Elle manipule notre imaginaire pour l’adapter à l’offre de produits existante, remodelant ainsi nos désirs, nos fantasmes, nos rêves dans le sens d’une plus grande consommation d’objets matériels. Comme le souligne François Brune, on vit le « métro-boulot-dodo en rêvant soleil-vacances-auto » (François Brune, Le Bonheur conforme, Gallimard, 1985, réédité), et cette contradiction nous dévore à petit feu. Elle produit sans cesse du manque, de la frustration, des prescriptions normatives à l’origine d’une angoisse continue de n’être pas comme les autres, faute de tel ou tel objet, mode, loisir ou comportement… Dans le même temps, elle suscite une angoisse inverse, celle d’être au contraire incapable de se distinguer des autres, de sortir de l’anonymat, de la banalité faute de ces mêmes objets, qui sont autant de « distinctions conformistes » proposées aux individus. En résultent une uniformisation générale des comportements, qui se paie pour l’individu du prix d’une dépersonnalisation brutale. La publicité « tue l’humanité en nous, notre capacité à nous donner sans calcul, à vivre sans frustration, à aimer sans angoisse ».

Elle encourage la compétition de tous contre tous, celle que l’on trouve à l’école et sur le marché du travail, renforçant les inégalités sociales entre ceux qui peuvent se conformer au modèle vanté dans les publicités, et ceux qui ne le peuvent pas. Pour ces derniers, les moins argentés des consommateurs, la publicité est une provocation permanente, incitant à consommer au-dessus de ses moyens, jusqu’au surendettement. Comment n’éprouveraient-ils pas un vif sentiment de relégation et d’infériorisation prompt à se changer en violence contre eux-mêmes ou leur environnement immédiat ?

La publicité renforce donc les hiérarchies en place, tout en instaurant le faux rêve d’un accès de tous au bonheur par la consommation. « La publicité, pourvoyeuse des frustrations infinies qui minent à la longue les sentiments confraternels, cette violence joyeuse et salace faite à la philia, à l’amitié sociale, et qui s’immisce à travers nos failles, nos fragilités, nos peurs et nos complexes, notre si délicate quiétude, la publicité, donc, enfonce l’idéal de vie bourgeois dans le crâne des plus vulnérables – les jeunes, les exclus – et, par cette tromperie très perverse, expurge d’eux toute volonté de dissidence (…). La publicité est ainsi l’assurance antirévolutionnaire du libéralisme totalitaire. A la fois formatage et bâillon. Justification de l’élimination des faibles, et camisole sociale étouffant les ardeurs séditieuses. Noyade quotidienne dans l’utopie-là – le bonheur virtuel à portée de bourses -, et naufrage des rebellions et des véhémences dans le « consomme ou crève ».(Vincent Cespedes*).

C’est d’ailleurs à ce niveau de critique plus fondamental que se situe aux yeux des antipub le véritable enjeu de la lutte : la publicité, loin d’être l’outil neutre de la promotion marchande, véhicule une idéologie particulière, celle qui sert de vitrine au capitalisme. « Quand on met tous les messages en perspective, se profile une idéologie, à la fois descriptive et prescriptive, où la jeunesse est sommée de vivre heureuse en consommant. Critiquer le système publicitaire, c’est critiquer l’économie de marché » (François Brune Télérama 9 juin 2004). La publicité agit comme un voile opacifiant qui dissimule, derrière une injonction au plaisir et à la dépense, les conditions sociales de la production et de la consommation : le pillage et le gaspillage des ressources primaires du Sud, les conditions de travail des ouvriers (sous-payés, enfants, esclaves, prisonniers, sans-papiers, en danger, sans droit ?), l’usage polluant de l’objet, les guerres pour l’accaparement de l’énergie fossile, et la fin de vie du produit, lorsqu’il sera devenu un simple déchet. Autant de facteurs intégrés au processus de fabrication mais dissimulés aux yeux du consommateur.

En même temps, elle est le carburant indispensable à la perpétuation du capitalisme, qu’elle a d’ailleurs sauvé, si l’on en croit Naomi Klein, en inventant le branding, la construction identitaire de l’individu par les marques qu’il arbore (Naomi Klein, No Logo La tyrannie des marques, Actes Sud / Babel 2002). En rappelant sans cesse à l’individu que tout s’achète, le bonheur, l’amitié, le sexe, valeurs cardinales des publicités, et que nous n’existons qu’au travers des biens que nous possédons, la publicité vise non seulement la perpétuation du capitalisme, mais plus directement la destruction de notre esprit critique. La contestation est récupérée ou folklorisée, la complexité et la dimension collectives sont abolies, et remplacées par le règne de l’émotion, de l’égoïsme, de la distraction permanente et du paraitre. « Les publicitaires ont un besoin proprement politique que nous n’usions pas de la pensée, la vraie, inachetable, retorse (…) Ils arrivent à leurs fins gentilles d’écervelage »   (Bertrand Poirot-Delpech, le Monde, 4 juillet 1990). On touche ainsi à la dimension la plus pernicieuse de la publicité, véritable entreprise de perversion de la démocratie. « Misanthropie et misologie, haine de l’humain et de la raison : ces deux instincts fascistes motivent intrinsèquement la publicité. Ils en sont l’essence même… » (Vincent Cespedes*). Son coût politique est ainsi terrifiant : les esprits déshabitués à l’exercice de leur pensée critique, et imprégnés des rêves de pacotille de l’idéologie consumériste, sont désormais mûrs pour toutes les manipulations de ceux qui, en politique, sont prêts à récupérer les techniques de la publicité dans le seul but de gagner à tous prix. La compétition électorale est transformée en nouveau marché de la séduction entre « marques » vendues à grand renfort de marketing, de slogans creux et d’opérations de communication en forme de feux de paille. Mangez des pommes !

*Vincent Cespedes, « Antipubs : les raisons du combat » http://www.vincentcespedes.net/fr/articles/antipub-08.php

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