dimanche 26 décembre 2010

Henry David Thoreau : « Walden ou la vie dans les bois »

Henry David Thoreau : « Walden ou la vie dans les bois »
(Collection L’imaginaire chez Gallimard)

Ce philosophe américain du 19ème siècle, est surtout connu en France pour son traité de la désobéissance civile, publié en 1849, qui avec le discours de la servitude volontaire d'Etienne de la Boétie, est considéré comme un livre fondateur du concept de désobéissance civile.

Henry David Thoreau était un vrai philosophe « à l’antique », dans ce sens qu’il vivait sa philosophie plus qu’il ne l’enseignait. C’est ainsi qu’il fut mis en prison pour avoir refusé de payer ses impôts à l’état américain pour motif que ce dernier pratiquait l’esclavage : « Un après-midi, vers la fin du premier été, en allant au village chercher un soulier chez le savetier, je fus appréhendé et mis en prison, parce que, ainsi que je l’ai raconté ailleurs, je n’avais pas payé l’impôt à, ou reconnu l’autorité de, l’Etat qui achète et vend des hommes, des femmes et des enfants, comme du bétail à la porte de son sénat. » (Walden, page 199).
A son corps défendant, il fut relâché le lendemain, parce que ses amis payèrent pour lui la caution !

L’ouvrage dont j’ai choisi de vous donner quelques extraits ici est très peu connu en France. Il s’agit de « Walden ou la vie dans les bois » publié en 1854 (il avait 37 ans). Walden est le nom de l’étang auprès duquel Thoreau vécu deux ans deux mois et deux jours dans la cabane qu’il avait lui-même construite. Cet étang se trouvait dans les bois appartenant à son ami Ralph Waldo Emerson, poète, philosophe et chef du mouvement transcendantaliste américain.

Avec de tels penseurs, on se prend à rêver d’une Amérique qui aurait pu évoluer autrement. Mais comme le disait Dante : « Si frêle est la chair des mortels, qu’en bas point ne suffit un bon commencement, pour que, de sa naissance, le chêne arrive à produire le gland. »
Pour dire plus simplement (très simplement) : « c’est toujours le pire qui arrive ».
Dans Walden, Thoreau a bien observé comment évoluait négativement la société américaine.
C’est le livre d’un homme seul, mais pas celui d’un misanthrope. C’est aussi le livre d’un amoureux de la nature. Si la lecture de ces extraits vous plait, je vous conseille de l’acheter, et surtout de le lire. Certains passages sonnent étrangement juste, au regard de l’impasse écologique vers laquelle semble se diriger aveuglément notre société.


Page 156 « Solitude »

Cette terre tout entière que nous habitons n’est qu’un point dans l’espace. A quelle distance l’un de l’autre, selon vous, demeurent les deux plus distants habitants de l’étoile là-haut, dont le disque ne peut voir apprécier sa largeur par nos instruments ? Pourquoi me sentirai-je seul ? notre planète n’est-elle pas dans la voie lactée ? Cette question que vous posez là me semble n’être pas la plus importante. Quelle sorte d’espace est celui qui sépare un homme de ses semblables et le rend solitaire ? Je me suis aperçu que nul exercice des jambes ne saurait rapprocher beaucoup deux esprits l’un de l’autre. Près de quoi désirons-nous le plus habiter ? Sûrement pas auprès de beaucoup d’hommes, de la gare, de la poste, du cabaret, du temple, de l’école, de l’épicerie, de Beacon Hill, ou de Five Points, lieux ordinaires d’assemblée, mais près de la source éternelle de notre vie, d’où en notre expérience nous nous sommes aperçus qu’elle jaillissait, comme le saule s’élève près de l’eau et projette ses racines dans cette direction. …
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…Nous sommes les sujets d’une expérience qui n’est pas de petit intérêt pour moi. Ne pouvons-nous quelque temps nous passer de la société de nos compères en ces circonstances, - avoir nos propres pensées pour nous tenir compagnie ? Confucius dit avec raison : « La vertu ne reste pas là comme un orphelin abandonné ; il lui faut de toute nécessité des voisins. »
Grâce à la pensée nous pouvons être à coté de nous-mêmes dans un sens absolument sain. Par un effort conscient de l’esprit nous pouvons nous tenir à distance des actions et de leurs conséquences ; sur quoi toutes choses, bonnes ou mauvaises passent près de nous comme un torrent. Nous ne sommes pas tout entiers confondus dans la nature. Je peux être ou le bois flottant du torrent, ou Indra dans le ciel les yeux abaissés dessus. Je peux être touché par une représentation théatrale ; d’autre part je peux ne pas être touché par un événement réel qui parait me concerner beaucoup plus ; Je ne me connais que comme une entité humaine ; la scène, pour ainsi dire, de pensées et passions ; et je suis convaincu d’un certain dédoublement grâce auquel je peux ainsi rester aussi éloigné de moi-même que d’autrui. Quelque opiniâtreté que je mette à mon expérience, je suis conscient de la présence et de la critique d’une partie de moi, que l’on dirait n’être pas une partie de moi, mais un spectateur, qui ne partage aucune expérience et se contente d’en prendre note, et qui n’est pas plus moi qu’il n’est vous. Lorsque la comédie, ce peut être la tragédie de la vie, est terminée, le spectateur passe son chemin. Il s’agissait d’une sorte de fiction, d’un simple travail de l’imagination, autant que sa personne était en jeu. Ce dédoublement peut facilement faire de nous parfois de pauvres voisins, de pauvres amis.
Je trouve salutaire d’être seul la plus grande partie du temps. Etre en compagnie, fût-ce avec la meilleure, est vite fastidieux et dissipant. J’aime à être seul. Je n’ai jamais trouvé de compagnon aussi compagnon que la solitude. Nous sommes en général plus isolés lorsque nous sortons pour nous mêler aux hommes que lorsque nous restons au fond de nos appartements. Un homme pensant ou travaillant est toujours seul, qu’il soit où il voudra. La solitude ne se mesure pas aux milles d’étendues qui séparent un homme de ses semblables. L’étudiant réellement appliqué en l’une des ruches serrées de l’université de Cambridge est aussi solitaire qu’un derviche dans le désert. Le fermier peut travailler seul tout le jour dans le champ ou les bois, à sarcler ou fendre, et ne pas se sentir seul, parce qu’il est occupé, mais lorsqu’il rentre le soir au logis, incapable de rester assis seul dans une pièce, à la meri de ses pensées, il lui faut être là où il peut « voir les gens », et se récréer, selon lui se récompenser de sa journée de solitude ; de là s’étonne-t-il que l’homme d’études puisse passer seul à la maison toute la nuit et la plus grande partie du jour, sans ennuis, ni « papillons noirs » ; il ne se rend pas compte que l’homme d’études, quoique à la maison, est toutefois au travail dans son champs à lui, comme le fermier dans les siens, pour à son tour rechercher la même récréation, la même société que fait l’autre, quoique ce puisse être sous une forme plus condensée.
La société est en général à trop bon compte. Nous nous rencontrons à de très courts intervalles, sans avoir eu le temps d’acquérir de nouvelle valeur l’un pour l’autre. …

Page 192 « Le champs de haricots »

L’ancienne poésie comme l’ancienne mythologie laissent entendre, au moins, que l’agriculture fut jadis un art sacré ; mais la pratique en est par nous poursuivie avec une hâte et une étourderie sacrilèges, notre objet étant simplement de posséder de grandes fermes et de grandes récoltes. Nous n’avons ni fête, ni procession, ni cérémonie, sans excepter nos Concours agricoles et ce qu’on appelle Actions de grâce, par quoi le fermier exprime le sentiment qu’il peut avoir de la sainteté de sa profession, ou s’en voit rappeler l’origine sacrée. C’est la prime et le banquet qui le tentent. Ce n’est pas à Cérès qu’il sacrifie, plus qu’au Jupiter terrien, mais, je crois, à l’infernal Plutus. Grâce à l’avarice et l’égoïsme, et certaine basse habitude, dont aucun de nous n’est affranchi, de considérer le sol surtout comme de la propriété, le paysage se trouve déformé, l’agriculture dégradée avec nous, et le fermier mène la plus abjecte des existences. Il ne connait la nature qu’en voleur. Caton prétend que les profits de l’agriculture sont particulièrement pieux ou justes (maximeque pius quoestus), et selon Varron et les anciens Romains « appelaient la même terre Mère et Cérès, et croyaient que ceux qui la cultivaient, menaient une existence pieuse et utile, qu’ils étaient les seuls survivants de la race du Roi Saturne ».
Nous oublions volontiers que le regard du soleil ne fait point de distinction entre nos champs cultivés et les prairies et forêts. Tous ils reflètent comme ils absorbent ses rayons également, et les premiers ne sont qu’une faible partie du resplendissant tableau qu’il contemple en sa course quotidienne. Pour lui la terre est toute également cultivée comme un jardin. Aussi devrions-nous recevoir le bienfait de sa lumière et de sa chaleur avec une confiance et une magnanimité correspondantes.

Page 200 « Le village »

Et cependant ma maison était plus respectée que si elle eut été entourée d’une file de soldats. Le promeneur fatigué pouvait se reposer et se chauffer près de mon feu, le lettré s’amuser avec les quelques bouquins qui se trouvaient sur ma table, ou le cirieux, en ouvrant la porte de mon placard, voir ce qui restait de mon diner, et quelle perspective j’avais de souper. Or je dois dire que si nombre de gens de toute classe prenaient ce chemin pour venir à l’étang, je ne souffris d’aucune incommodité sérieuse de ce coté-là, et jamais ne m’aperçus de l’absence de rien que d’un petit livre, un volume d’Homère, qui peut-être à tort était doré, et pour ce qui est de lui, j’espère que c’est un soldat de notre camp qui vers ce temps l’a trouvé. Je suis convaincu que si tout le monde devait vivre aussi simplement qu’alors je faisais, le vol et la rapine seraient inconnus. Ceux-ci ne se produisent que dans les communautés où certains possèdent plus qu’il n’est suffisant, pendant que d’autres n’ont pas assez. Les Homères de Pope ne tarderaient pas à se voir convenablement répartis :
"Nec belle fuerunt,
Faginus astabat dum scyphus ante dapes."
"De guerre se sut être,
Tant que seule en honneur fut l’écuelle de hêtre."

« Vous qui gouvernez les affaires publiques, quel besoin d’employer le châtiment ? Aimez la vertu, et le peuple sera vertueux. Les vertus d’un homme supérieur sont comme le vent ; les vertus d’un homme ordinaire sont comme l’herbe ; l’herbe, lorsque le vent passe sur elle, se courbe ».
(Entretiens de Confucius, livre XII, ch.19)




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