dimanche 26 septembre 2010

Hervé Kempf : Comment les riches détruisent la planète.

Hervé Kempf : "Comment les riches détruisent la planète"

Il n'y a pas que des "Bisounours" au pays de l'écologie. Dans son livre réquisitoire, Hervé Kempf nous rappelle avec vigueur que la crise écologique et la crise sociale sont les deux versants d'un même désastre.

Je vous propose donc ici un extrait de ce livre dont je vous conseille bien sûr la lecture !


Vous pouvez également lire cet article d'Hervé Kempf sur le site du monde Diplomatique : http://www.monde-diplomatique.fr/mav/99/KEMPF/16157
Et visionner cette vidéo d'une interview de lui en mars 2011.

Voici l'extrait de son livre que j'ai choisi pour vous :
"La question centrale (p.34 à 37)"



Voici la question centrale : Alors que tout cela est clair, pourquoi le système est-il si obstinément incapable de bouger ?

Plusieurs réponses sont possibles.

Une réponse implicite de l’opinion commune est qu’au fond, la situation n’est pas si grave. Si tout citoyen attentif observe ici et là d’innombrables signaux d’alarme, le courant général d’information les noies dans un flot qui les relativise. Et il se trouve toujours d’habiles conservateurs, forts de leur notoriété, pour proclamer à coups d’arguments biaisés que tout cela est exagéré. Une variante est de reconnaitre le sérieux du problème, en affirmant que l’on pourra s’y adapter presque spontanément, par de nouvelles technologies.

Mais il faut aller plus loin. Trois facteurs jouent pour minimiser l’importance de la situation.

D’une part, le cadre dominant d’explication du monde est aujourd’hui celui d’une représentation économique des choses. Ainsi, le monde connait une prospérité apparente marquée par la croissance des PIB (produit intérieur brut) et du commerce international.

Cette description est intrinsèquement faussée du fait que cette « croissance économique » ne paie pas le coût de la dégradation de l’environnement. En termes comptables, une entreprise doit minorer le bénéfice de son exploitation en mettant de côté des sommes, appelées « amortissements », destinés à compenser l’usure des moyens de production utilisés ; ainsi, quand ces moyens sont usés, l’entreprise dispose d’une réserve pour les remplacer. Mais l’entreprise « Economie mondiale » ne paie pas « l’amortissement de la biosphère », c’est-à-dire le coût de remplacement du capital naturel qu’elle utilise. Admissible quand les capacités d’absorption de la biosphère étaient grandes, cette conduite devient criminelle quand ces possibilité atteignent leurs limites.

L’opinion mondiale et les décideurs sont dans la même situation qu’un chef d’entreprise dont l’expert comptable oublierait de compter l’amortissement. Ils croient que l’entreprise va bien alors qu’elle court à la faillite.

D’autre part, les élites dirigeantes sont incultes. Formées en économie, en ingénierie, en politique, elles ont souvent ignorantes en sciences et quasi toujours dépourvues de la moindre notion d’écologie. Le réflexe habituel d’un individu qui manque de connaissances est de négliger voire de mépriser les questions qui relèvent d’une culture qui lui est étrangère, pour privilégier les questions où il est le plus compétent. Les élites agissent de la même manière. D’où, de leur part, une sous-estimation du problème écologique.

Un troisième facteur ne saurait être oublié : le mode de vie des classes riches les empêche de sentir ce qui les entoure. Dans les pays développés, la majorité de la population vit en ville, coupée de l’environnement où commencent à se manifester les craquements de la biosphère. Elle est d’ailleurs largement protégée de ces craquements par les structures de gestion collective élaborés dans le passé et qui parviennent à amortir les chocs (inondations, sécheresses, séismes…) quand ils ne sont pas trop violents. L’occidental moyen occupe la plus grande partie de son existence dans un lieu clos, passant de sa voiture au bureau climatisé, s’approvisionnant dans des hypermarchés sans fenêtres, déposant ses enfants à l’école en automobile, se distrayant chez lui dans le tête à tête avec la télévision ou l’ordinateur, etc. Les classes dirigeantes, qui modèlent l’opinion, sont encore davantage coupées de l’environnement social et écologique : elles ne se déplacent qu’en voiture, vivent dans des lieux climatisés, suivent des circuits de transports – aéroports, quartiers d’affaires, zones résidentielles – qui les mettent à l’abri du contact avec la société. Elles minorent évidemment les problèmes dont elles n’ont qu’une représentation abstraite.

Quand à ceux qui sont d’ores et déjà confrontés aux désordres sociaux et écologiques de la crise en cours – pauvres des banlieues occidentales, paysans d’Afrique ou de Chine, employés des maquiladoras américaines, habitants des bidonvilles de partout -, ils n’ont pas voix au chapitre. 

A la question : Pourquoi rien ne change-t-il alors qu’il est si évidemment impératif de changer, une réponse d’un autre type pourrait encore être apportée. L’effondrement de l’URSS et l’échec du socialisme dans les années 1980 ont supprimé la possibilité de se référer à une alternative, ou plutôt, ont rendu l’idée de celle-ci irréaliste. Le capitalisme a bénéficié de son succès indéniable sur l’Union Soviétique, tandis qu’il était stimulé par l’irruption de la micro-informatique et des techniques numériques, qui ont joué un rôle structurant comparable à celui du développement des chemins de fer au XIXe siècle et de l’automobile au XXe. Par ailleurs, le socialisme, devenu le centre de gravité de la gauche, est fondé sur le matérialisme et l’idéologie du progrès du XIXe siècle. Il a été incapable d’intégrer la critique écologiste. Le champ est ainsi libre pour une vision univoque du monde, qui jouit de sa victoire en négligeant les nouveaux défis.

Mais aucune de ces réponses n’est suffisante. La solution est autre et les englobe toutes.

Si rien ne bouge, alors que nous entrons dans une crise économique d’une gravité historique, c’est parce que les puissants de ce monde le veulent.

Le constat est brutal, et la suite de ce livre devra le justifier. Mais on doit partir de là, sans quoi les diagnostics exacts des Lester Brown, Nicolas Hulot, JeaN6Marie Pelt, Hubert Reeves, on en passe, qui se concluent invariablement par un appel à « l’humanité », ne sont que de l’eau tiède sentimentale.

Candides camarades, il y a des méchants hommes sur terre.

Si l’on veut être écologiste, il faut arrêter d’être benêt.

Le social reste l’impensé de l’écologie. Le social, c’est-à-dire les rapports de pouvoir et de richesses au sein des sociétés.

Mais l’écologie est symétriquement l’impensé de la gauche. La gauche, c’est-à-dire ceux pour qui la question sociale – la justice – reste première. Habillée de ce qui reste des haillons du marxisme, elle repeint sans cesse les chromos du XIXe siècle, ou s’abîme dans le « réalisme » du « libéralisme tempéré ». Ainsi, la crise sociale – marquée par le creusement de l’inégalité et par la dissolution des liens de solidarité tant privés que collectifs - , qui semble recouvrir la crise écologique, sert de facto à l’écarter du champs de vision.

On trouve donc des écologistes niais – l’écologie sans le social -, une gauche scotchée à 1936 ou 1981 – le social sans l’écologie -, et des capitalistes satisfaits : « Parlez, braves gens, et surtout, restez divisés. »
Il faut sortir de hiatus. Comprendre que crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes.













PS : Personnellement je ne suis pas loin de penser que c'est une cause perdue, la puissance de feu adverse est si puissante ! Mais j'apprécie le panache de ces dernières charges héroïques qui préludent à l'effondrement...



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