dimanche 8 avril 2012

Maximilien Robespierre : Discours et rapport à la Convention "Sur la nouvelle déclaration"

Maximilien Robespierre
Discours et rapports à la Convention
Collection 10/18 Christian Bourgeois éditeur (ISBN-2-264-01267-6)

Tandis que je distribuais joyeusement des tracts ce matin sur le marché (élection présidentielle oblige), je me suis retrouvé à discuter passionnément de Robespierre avec l’un de mes concitoyens qui me faisait part de toute sa haine envers ce pauvre Maximilien. Rien d’étonnant à cela, la plupart des gens ne connaissent de Robespierre que le portrait que ses ennemis thermidoriens en ont fait, c'est-à-dire un monstrueux fanatique assoiffé de sang. J’aurais pu moi aussi me satisfaire de cette version de l’histoire (qui comme vous le savez est toujours écrite par les vainqueurs), si je n’avais pas eu l’idée un jour (en 1989) de lire l’ensemble de ses discours.

La lecture des discours de Robespierre fut pour moi un véritable choc ! C’est beau comme les évangiles m’arrive-t-il de dire parfois, (un peu par provocation).

Lorsqu’on lit les discours de Maximilien Robespierre, on comprend mieux pourquoi il a pu susciter autant de haine, tant son amour de l’humanité y transparaît avec force ! Robespierre était pour l'abrogation de la peine de mort (Discours du 30 mai 1792) et pour l’abolition de l’esclavage ! "Périssent les colonies plutôt qu’un principe !" proclamait-il le 13 mai 1791, défendant la citoyenneté des gens de couleur et luttant contre la constitutionnalisation de l’esclavage !

C’est à lui que nous devons la devise de la France : « Liberté, égalité, fraternité ». Devise que l’on n’ose même plus inscrire au fronton des écoles de la République ! 

J’ai choisi de vous proposer ce discours sur la nouvelle déclaration des droits, lu le 24 avril 1793 devant la Convention. Vous pourrez comparer ce que Robespierre avait proposé, avec le texte final. Vous ne trouverez plus par exemple cet article proposé par Robespierre «Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entr’aider selon leur pouvoir, comme les citoyens du même état. » ni celui-ci « Celui qui opprime une nation se déclare l’ennemi de toutes. ». On y retrouve l'esprit "universel" des idées généreuses de la Révolution Française. En ce temps là, il suffisait d'aimer la liberté pour être français.

Lisez les discours de Robespierre, et vous comprendrez alors pourquoi tant de gens l’ont haï. J’ai lu cette phrase, il y a peu sur un site consacré à Robespierre : « Il est trois sortes d'hommes : ceux qui admirent Robespierre, ceux qui ne le connaissent pas, et ceux qui, dans tous les cas, se font un devoir de mépriser l'humanité. ».

Certains de ses textes sont beaux comme les évangiles, certes, mais Robespierre n'était pas un dieu, et encore moins un saint, c'était juste un homme, un homme jeune, qui a essayé de créer une société plus juste.

Pour l'amie qui me l'a demandé, je signale que ce livre est encore disponible en stock à la Fnac. Plus d'infos en cliquant sur l'icone du livre ci-dessous :




Voici son discours sur la nouvelle déclaration des droits :


J'ai demandé la parole, dans la dernière séance, pour proposer quelques articles additionnels importants qui tiennent à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Je vous proposerai d'abord quelques articles nécessaires pour compléter votre théorie sur la propriété; que ce mot n'alarme personne. Âmes de boue! qui n'estimez que l'or, je ne veux point toucher à vos trésors, quelque impure qu'en soit la source. Vous devez savoir que cette loi agraire, dont vous avez tant parlé, n'est qu'un fantôme créé par les fripons pour épouvanter les imbéciles.

Il ne fallait pas une révolution sans doute pour apprendre à l'univers que l'extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes, mais nous n'en sommes pas moins convaincus que l'égalité des biens est une chimère. Pour moi, je la crois moins nécessaire encore au bonheur privé qu'à la félicité publique. Il s'agit bien plus de rendre la pauvreté honorable que de proscrire l'opulence. La chaumière de Fabricius n'a rien à envier au palais de Crassus. J'aimerai bien autant pour mon compte être l'un des fils d'Aristide, élevé dans le Prytanée aux dépens de la République, que l'héritier présomptif de Xerxès né dans la fange des cours pour occuper un trône décoré de l'avilissement des peuples et brillant de la misère publique.

Posons donc de bonne foi les principes du droit de propriété : il le faut d'autant plus, qu'il n'en est point que les préjugés et les vices des hommes aient cherché à envelopper de nuages plus épais.

Demandez à ce marchand de chair humaine ce que c'est que la propriété : il vous dira, en vous montrant cette longue bière, qu'il appelle un navire, où il a encaissé et ferré des hommes qui paraissent vivants : Voilà mes propriétés, je les ai achetées tant par tête. Interrogez ce gentilhomme, qui a des terres et des vassaux, ou qui croit l'univers bouleversé depuis qu'il n'en a plus; il vous donnera de la propriété des idées à peu près semblables.

Interrogez les augustes membres de la dynastie capétienne; ils vous diront que la plus sacrée de toutes les propriétés est, sans contredit, le droit héréditaire, dont ils ont joui de toute antiquité, d'opprimer, d'avilir et de pressurer légalement et monarchiquement les 25 millions d'hommes qui habitaient le territoire de la France sous leur bon plaisir.(-)

Aux yeux de tous ces gens-là, la propriété ne porte aucun principe de morale. Pourquoi votre Déclaration des Droits semble-t-elle présenter la même erreur? En définissant la liberté, le premier des biens de l'homme, le plus sacré des droits qu'il tient de la nature, vous avez dit avec raison qu'elle avait pour borne les droits d'autrui; Pourquoi n'avez-vous pas appliqué ce principe à la propriété, qui est une institution sociale; comme si les lois éternelles de la nature étaient moins inviolables que les conventions des hommes? Vous avez multiplié les articles pour assurer la plus grande liberté à l'exercice de la propriété, et vous n'avez pas dit un seul mot pour en déterminer le caractère légitime; de manière que votre Déclaration parait faite, non pour les hommes, mais pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les tyrans. Je vous propose de réformer ces vices en consacrant les vérités suivantes :

Art. 1er. La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion des biens qui lui est garantie par la loi.

Art. 2. Le droit de propriété est borné, comme tous les autres, par l'obligation de respecter les droits d'autrui.

Art. 3. Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété de nos semblables.

Art. 4. Toute possession, tout trafic qui viole ce principe est illicite et immoral.

Vous parlez aussi de l’impôt pour établir le principe incontestable qu'il ne peut émaner que de la volonté du peuple ou de ses représentants; mais vous oubliez une disposition que l'intérêt de l'humanité réclame. Vous oubliez de consacrer la base de l'impôt progressif.. Or, en matière de contributions publiques, est-il un principe plus évidemment puisé dans la nature des choses et dans l'éternelle justice que celui qui impose aux citoyens l'obligation de contribuer aux dépenses publiques progressivement selon l'étendue de leur fortune, c'est-à-dire selon les avantages qu'ils retirent de la société. 
Je vous propose de le consigner dans un article conçu en ces termes :
« Les citoyens dont les revenus n'excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance doivent être dispensés de contribuer aux dépenses publiques; les autres doivent le supporter progressivement, selon l'étendue de leur fortune. »

Le comité a encore absolument oublié de rappeler les devoirs de fraternité qui unissent tous les hommes et toutes les nations, et leurs droits à une mutuelle assistance ; il parait avoir ignoré les bases de l’éternelle alliance des peuples contre les tyrans ; on dirait que votre déclaration a été faite pour un troupeau de créatures humaines parquées sur un coin du globe, et non pour l’immense famille à laquelle la nature a donné la terre pour domaine et pour séjour. Je vous propose de remplir cette grande lacune par les articles suivants : ils ne peuvent que vous concilier l’estime des peuples : il est vrai qu’ils peuvent avoir l’inconvénient de vous brouiller sans retour avec les rois. J’avoue que cet inconvénient ne m’effraie pas ; il n’effraiera point ceux ceux qui ne veulent pas se réconcilier avec eux.

Art. 1. Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entr’aider selon leur pouvoir, comme les citoyens du même état.

Art. 2. Celui qui opprime une nation se déclare l’ennemi de toutes.

Art. 3. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais come des assassins et des brigands rebelles.

Art. 4. Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers, qui est la nature.

Citoyens, j’aurais aimé d’autres articles à vous proposer, si vous aviez la patience de m’entendre plus longtemps, mais ils se trouvent énoncés dans la série des autres articles, énoncés dans le projet de Déclaration des droits de l’homme, et pour que je jouisse de l’étendus de mon suffrage, il serait nécessaire que vous me permissiez de lire ce projet. J’ai cru devoir placer à la tête de cette Déclaration un préambule.

Les représentants du Peuple Français réunis en Convention nationale, reconnaissent que les lois humaines qui ne découlent point des lois éternelles de la justice et de la raison ne sont que des attentats de l’ignorance ou du despotisme contre l’humanité ; convaincus que l’oubli ou le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des crimes et des malheurs du monde, ont résolu d’exposer afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de la liberté et de son bonheur ; le magistrat, la règle de ses devoirs ; le législateur, l’objet de sa mission.

En conséquence, la Convention nationale proclame, à la face de l’univers, et sous les yeux du législateur immortel, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.

Art. 1. Le but de toute association politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, et le développement de toutes ses facultés.

Art. 2. Les principaux droits de l’homme sont celui de pourvoir à la conservation de son existence, et la liberté.

Art. 3. Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales.
L’égalité des droits est établie par la nature : la société, loin d’y porter atteinte, ne fait que la garantir contre l’abus de la force qui la rend illusoire.

Art. 4. La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme d’exercer, à son gré, toutes ses facultés. Elle a la justice pour règle, les droits d’autrui pour bornes, la nature pour principe, et la loi pour sauvegarde.

Art. 5. Le droit de s’assembler paisiblement, le droit de manifester ses opinions, soit par la voie de l’impression, soit de toute autre manière, sont des conséquences si nécessaires du principe de la liberté de l’homme que la nécessité de les énoncer suppose ou la présence ou le souvenir du despotisme.

Art. 6. La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.

Art. 7. Le droit de propriété est borné, comme tous les autres, par l’obligation de respecter les droits d’autrui.

Art. 8. Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables.

Art. 9. Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral.

Art. 10. La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.

Art. 11. Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire, sont une dette de celui qui possède le superflu. Il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.

Art. 12. Les citoyens, dont les revenus n’excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance, sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques ; les autres doivent les supporter progressivement, selon l’étendue de leur fortune.

Art. 13. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.

Art. 14. Le peuple est le souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis. Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires.

Art. 15. La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté du peuple.

Art. 16. La loi doit être égale pour tous.

Art. 17. La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société ; elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.

Art. 18. Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme, est essentiellement injuste et tyrannique ; elle n’est point une loi.

Art. 19. Dans tout état libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvernent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse.

Art. 20. Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais le vœu qu’elle exprime doit être respecté comme le voeu d’une portion du peuple, qui doit concourir à former la volonté générale.
Chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté ; elle est essentiellement indépendante de toutes les autorités constituées, et maîtresse de régler sa police et ses délibérations.

Art. 21. Tous les citoyens sont admissibles à toutes les fonctions publiques, sans aucune autre distinction que celle des vertus et des talents, sans aucun autre titre que la confiance du peuple.

Art. 22. Tous les citoyens ont un droit égal de concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi.

Art. 23. Pour que ces droits ne soient point illusoires et l’égalité chimérique, la société doit salarier les fonctionnaires publics, et faire en sorte que les citoyens qui vivent de leur travail, puissent assister aux assemblées publiques où la loi les appelle, sans compromettre leur existence ni celle de leur famille.

Art. 24. Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu’ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi.

Art. 25. Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d’un homme, exercé par qui que ce soit, même au nom de la loi, hors des cas déterminés par elle et des formes qu’elle prescrit, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s’y soumettre ; et si on veut l’exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force.

Art. 26. Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique appartient à tout individu. Ceux à qui elles sont adressées, doivent statuer sur les points qui en font l’objet ; mais ils ne peuvent jamais ni en interdire, ni en restreindre, ni en condamner l’exercice.

Art. 27. La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen.

Art. 28. Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il a oppression contre chaque membre du corps social, lorsque le corps social est opprimé.

Art. 29. Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Art. 30. Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits.

Art. 31. Dans l’un et l’autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression, est le dernier raffinement de la tyrannie.

Art. 32. Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics.

Art. 33. Les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.

Art. 34. Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect.

Art. 35. Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même état.

Art. 36. Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes.

Art. 37. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et comme des brigands rebelles.

Art. 38. Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers qui est la nature.


P.S. : 

le 8 Thermidor an II, soit deux jours avant son exécution, il avait terminé ainsi son discours aux Jacobins : "Ce discours que vous venez d'entendre est mon testament de mort. Je l'ai vu aujourd'hui, la ligue des méchants est tellement forte, que je ne puis pas espérer de lui échapper.
Je succombe sans regret, je vous laisse ma mémoire elle vous sera chère et vous la défendrez."

Sur le site des amis de Robespierre, vous pourrez lire l'intégralité de son dernier discours à la Convention, le 26 juillet 1794, la veille de sa mort : http://www.amis-robespierre.org/robespierre/index-discours_convention_8Thermidor.html
Il se termine par cette phrase :"Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n'est point arrivé où les hommes de biens peuvent servir impunément la patrie; les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons dominera."


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